Coline Delbaere, productrice d’expériences immersives au centre multifonctionnel PHI, s’entretient avec quatre jeunes femmes inspirées et inspirantes. Ensemble, elles lèvent le voile sur les moyens d’encourager et d’inspirer la représentation des femmes dans le milieu technologique.
Le centre culturel et artistique PHI s’est associé au studio de développement de jeux vidéo mobiles Square Enix Montréal, partenaire éducatif de l’expérience L’INFINI, ainsi qu’à Concertation Montréal et son Mouvement montréalais Les Filles & le code, une initiative visant à encourager les femmes à s’intéresser aux carrières et formations en technologie.
Basée sur un désir commun de promouvoir l’art et les hautes technologies auprès des jeunes, cette collaboration vise à souligner l’importance de la parité des genres dans la conception des expériences technologiques.
Afin d’inspirer plus de femmes à joindre les rangs du secteur des technologies, Marie-Jade Lucier, Salma Zaghloul, Audrey Coulombe et Elianne Rochefort, quatre jeunes collaboratrices âgées de 18 et 25 ans identifiées par le Mouvement montréalais Les Filles & le code avec le soutien de Square Enix Montréal, se sont confiées sur le parcours des femmes en technologie et les différents enjeux qui s’y rattachent.
Bien que le Québec affirme depuis de nombreuses années ses valeurs d’égalité entre les hommes et les femmes, la mixité dans les organisations semble toujours être un sujet d’actualité. Dans l’industrie des technologies de l’information (TI), la place des femmes ne représentait que 20 % en 2017, selon les données colligées par la Chaire Claire-Bonenfant de l’Université Laval et TECHNOCompétences. Ce constat soulève différentes questions qui méritent d’être approfondies : quels sont les obstacles à l’entrée, à la rétention et à la progression des femmes au sein des organisations de l’industrie des TI au Québec ?
Afin de fournir une parcelle de réponse à ces différentes interrogations, PHI et Square Enix Montréal ont invité de jeunes femmes passionnées de l’art et des technologies à discuter avec sa productrice d’expériences immersives, Coline Delbaere.
Cette conversation a été transcrite et éditée par Louvia Lafrance pour des fins de clarté et de longueur.
· · ·
PRÉSENTATIONS
Coline Delbaere: Je suis diplômée en science politique. En raison de mes précédentes expériences au sein d’un service décentralisé d’ambassade, d’une compagnie de théâtre, d’une maison de production de disques et de tournages, je me considère comme une personne très polyvalente. Depuis 2017, je suis productrice d’expériences immersives et je travaille en collaboration avec des acteurs issus d’une multitude de disciplines artistiques. En 2018, j’ai été nommée membre titulaire de la commission Expériences Numériques du Centre National du Cinéma, en France. En 2019, j’ai rejoint l’équipe PHI dans le but de participer à l’essor de nouvelles formes de storytelling et j’œuvre habilement dans la production de projets interactifs complexes. J’aborde ces derniers avec une vision d’ensemble et je garde toujours en tête l’évolution des conditions d’exploitations de créations ainsi que la rencontre avec les publics.
AUDREY: J’ai étudié au collège en design de mode. C’est là que j’ai appris l’existence des vêtements intelligents. J’ai donc commencé à m’intéresser davantage au côté électronique, informatique et numérique. Je travaille actuellement chez Vestechpro, un centre de recherche et d’innovation en habillement. J’étudie également en Computation Arts, un programme offert à l’Université Concordia qui combine l’art et la technologie en général.
MARIE-JADE: Je suis étudiante en design de mode. J’ai un baccalauréat en chimie et j’ai également suivi des cours à l’UQAM en systèmes informatiques et électroniques. Je m’intéresse particulièrement aux vêtements connectés. Je suis fascinée par les différentes manières de combiner la mode, l’habillement et les technologies.
ELIANNE: Je suis étudiante au Collège de Bois-de-Boulogne. Je fais actuellement une technique en intégration multimédia. C’est un programme assez général qui touche un peu à tout dans le numérique : programmation, Web, jeux vidéo, graphisme, UX, etc. Je suis également membre du groupe Femmes en Tech. Ce dernier vise à encourager les femmes à s’impliquer dans l’univers numérique. Nous travaillons actuellement sur la création du site Web, pour diffuser les témoignages de professionnelles dans l’industrie. Je considère que c’est un très beau projet et que la mission est importante.
SALMA: Je suis étudiante en Sciences de la nature au Collège de Maisonneuve. Comme j’ai débuté la robotique à douze ans, j’ai également de l’expérience dans le milieu technologique. À la base, je travaillais davantage à développer mes compétences au niveau entrepreneurial, à faire des plans d’affaires, à présenter nos projets d’équipe en robotique, etc. Par la suite, je me suis surtout intéressée au côté technique. J’ai donc fait plus de mécanique, surtout au niveau de la modélisation tridimensionnelle. Je me suis ensuite tournée vers la programmation. Mon coup de cœur était Python. C’est de la programmation orientée objet (POO) un peu plus spécifique à l’intelligence artificielle.
CONVERSATION
COLINE DELBAERE: Marie-Jade, connais-tu Audrey et les activités de l’entreprise pour laquelle elle travaille ?
MARIE-JADE: Oui. En fait, j’ai également travaillé deux ans chez Vestechpro. C’est là que j’ai rencontré Audrey. C’est également grâce à ce centre de recherche que j’ai découvert que c’était possible de mélanger la science, l’habillement et la mode.
COLINE DELBAERE: Salma, c’est intéressant de voir que tu es passée à travers toutes les couches en profondeur. As-tu travaillé sur un projet qui t’a particulièrement marqué jusqu’ici ?
SALMA: L’été de ma 4e secondaire, j’ai participé à un stage au Centre de Recherche Informatique de Montréal (CRIM), on essayait de permettre au robot de pouvoir détecter différentes composantes sur le terrain et de prendre des décisions par lui-même. Le but étant que notre programme Python détecte les différentes composantes et envoie de l’information au programme Java qui, lui, contrôle la motricité du robot.
COLINE DELBAERE: Du côté des vêtements connectés, est-ce que l’objectif est que ces derniers soient fonctionnels ou c’est plutôt dans l’objectif de vous en servir comme média artistique ?
AUDREY: Je suis ouverte à tout. Je préfère les projets qui sont plus artistiques. Cependant, avec mon travail, je suis amenée à travailler sur des projets qui sont plus pratiques et fonctionnels. J’aime faire les deux. Je considère que la conception de projets fonctionnels permet d’acquérir certaines connaissances qui peuvent être utiles pour l’élaboration de projets artistiques. Par exemple, les bandes respiratoires peuvent être intéressantes autant pour les projets artistiques que dans des vêtements qui permettent de récolter des données biométriques. C’est issu de la tendance de l’automesure connectée.
COLINE DELBAERE: J’imagine que les vêtements connectés de base permettent d’observer la chaleur du corps ?
AUDREY: Il y en a qui font ça, entre autres. Il y a beaucoup de dispositifs qui peuvent être adaptés au corps et observer la température, la respiration ou le rythme cardiaque, par exemple.
COLINE DELBAERE: Comment vous sentez-vous en tant que femme dans cet univers-là ? J’ai récemment lu un article qui m’a bien fait rire. Ce dernier expliquait que jusqu’aux années 70, tout le secteur de l’informatique était pratiquement réservé exclusivement aux femmes. Cela s’expliquait du fait que durant la Seconde Guerre mondiale, les hommes étaient au front et les femmes, dans les coulisses. Tous les premiers ordinateurs monolithiques, les codes balistiques et les codes ennemis étaient analysés par des femmes. Aujourd’hui, le milieu technologique est composé de 80 % d’hommes et de 20 % de femmes. À mes yeux, il n’y a rien qui puisse expliquer cela, mis à part la discrimination, ou simplement un désir manquant de s’impliquer.
SALMA: C’est drôle que tu dises ça. En 5e secondaire, je travaillais sur un projet de fin d’année dans le cadre du programme international. À la fin de l’année, il fallait être capable de répondre à un problème et trouver une solution. Comme je baignais dans l’univers de la robotique, des sciences et de la technologie, j’ai vite remarqué à quel point les femmes étaient sous-représentées en génie. J’ai donc fait quelques recherches et j’ai été agréablement surprise de découvrir que la première personne à avoir développé un langage informatique, c’était une femme britannique. Si je me souviens bien, c’était Ada Lovelace. Certaines théories concernant ce manque de diversité expliquent qu’il y aurait un manque de modèles concrets de réussite féminine dans le domaine des sciences et de l’ingénierie.
j’ai vite remarqué à quel point les femmes étaient sous-représentées en génie.
MARIE-JADE: Je crois qu’il manque définitivement de modèles féminins qui nous permettent de voir que l’informatique peut être un domaine intéressant. Je pense que la manière dont c’est représenté actuellement n’est pas nécessairement inspirante.
SALMA: Justement, le projet sur lequel je travaillais visait à créer des ateliers d’introduction à l’ingénierie et à la programmation. J’avais donc réservé les ordinateurs de l’école et créé de la publicité pour l’événement. Une quinzaine de personnes s’étaient présentées et ça m’avait vraiment étonnée. Afin de prouver la réussite de mon projet, j’ai ensuite dû collecter des données à la fin de l’atelier. J’ai alors constaté que 67 % des étudiantes qui s’étaient présentées étaient intéressées à poursuivre dans ce domaine.
COLINE DELBAERE: Une fois qu’une femme décide d’entrer dans ce monde-là, elle va naturellement s’entourer de plus de femmes. Lors de mon premier festival à Venise, je ne travaillais qu’avec des hommes, là où j’étais. Un de nos projets avait été sélectionné et parmi la sélection complète, il y avait deux jeunes femmes danoises. C’était leur projet de fin d’études et il s’est retrouvé dans un festival de catégorie A. Tout avait été très bien pensé, c’était un magnifique projet. Les utilisateurs devaient se placer dans un lit d’hôpital avec un casque de réalité virtuelle (VR) et interpréter le rôle d’un frère ou d’une sœur. Une représentation de la cognition incarnée était également effectuée et donc, une fois que tu portais le casque VR, tu pouvais voir des scènes qui te représentaient dans le lit et tu pouvais voir tes propres jambes. Comme rien n’était genré, c’était impossible de savoir si tu étais un homme ou une femme. En fonction de ce qui se passait dans le monde virtuel numérique, elles touchaient les gens à des moments précis pour rendre la réalité virtuelle optimale. Il y avait également certaines odeurs, que ce soit celle d’un verre de bière ou encore d’une bougie qui s’éteignait pour représenter la mort. Certaines choses étaient très évocatrices. Lorsqu’on regardait les différents crédits du projet, leur nom apparaissait quasiment à tous les postes. Elles avaient presque tout réalisé seules et elles ont d’ailleurs créé leur propre société qui se nomme MANND. Toutes leurs conférences sont incroyables et je trouve que ça apporte une certaine sensibilité à leurs créations. Tout ça pour dire que, pour moi qui travaillais dans une boîte composée majoritairement d’hommes, le fait de pouvoir voir leurs réalisations m’a vraiment impressionnée. J’ai réalisé l’importance d’avoir des rôles féminins dans notre milieu.
Tout ça pour dire que, pour moi qui travaillais dans une boîte composée majoritairement d’hommes, le fait de pouvoir voir leurs réalisations m’a vraiment impressionnée. J’ai réalisé l’importance d’avoir des rôles féminins dans notre milieu.
ELIANNE: Justement, Femmes en Tech recueille plusieurs témoignages de femmes issues de différents domaines dans le milieu technologique. Puisqu’il y a de nouvelles branches qui se créent constamment, on essaie de recueillir le plus de témoignages afin d’instruire ceux qui essaient de s’orienter pour un choix de programme ou de motiver certaines à rester dans le numérique en trouvant leur place.
COLINE DELBAERE: C’est une de tes initiatives, c’est ça ?
ELIANNE: Non, c’est un de mes professeurs du Collège de Bois-de-Boulogne qui a reçu un financement du ministère de l’Enseignement supérieur. Je travaille donc sur le projet avec quatre autres filles. Nous avons déjà fait quelques tournages avec des femmes du milieu. Le but est aussi d’aller dans les écoles et de montrer comment ça se passe aux jeunes et de leur ouvrir de nouvelles opportunités.
Mais toi, justement, comment le vis-tu ? Être une femme dans un milieu d’hommes.
COLINE DELBAERE: C’est une bonne question. Le Centre PHI est majoritairement féminin, donc ça va. Par contre, je le ressens beaucoup dans mes collaborations. Au quotidien, il m’arrive d’entendre des choses un peu étranges. Moi, je suis productrice et je suis souvent amenée à parler d’argent. J’ai déjà beaucoup voyagé avec un réalisateur lors de la réalisation d’un projet. Quand notre partenaire en France commençait à parler d’argent, il se tournait vers lui sans même s’en rendre compte, simplement parce que c’était un homme âgé de 50 ans et que je suis une jeune femme. Il faut donc reprendre la conversation et se dire que ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on ne peut pas aborder ces sujets.
Quand notre partenaire en France commençait à parler d’argent, il se tournait vers lui sans même s’en rendre compte, simplement parce que c’était un homme âgé de 50 ans et que je suis une jeune femme.
AUDREY: Est-ce que ça s’est amélioré durant la dernière décennie ? Est-ce que les femmes ont pris la place qui leur revenait ? Est-ce qu’on est sur la bonne voie ou est-ce qu’il y a encore énormément de travail à faire, selon toi ?
COLINE DELBAERE: Je trouve que c’est difficile d’avoir une vision globale. Le milieu artistique est souvent un milieu plus ouvert d’esprit. Ce sont des gens qui ont envie de raconter des histoires, de changer les choses en utilisant un médium ou l’autre. L’art est généralement un mode de communication. À partir de là, j’ai envie de répondre oui. Mais le domaine dans lequel je suis, moi, est biaisé. Mon rôle au Centre National du Cinéma et de l’Image Animée me permet toutefois d’avoir une vue d’ensemble. Je reçois tous les dossiers de XR, à la fois en écriture, en développement et en production, tous les deux mois. Ça me permet de voir combien de projets sont portés par des femmes. Il y a des femmes sur les projets, mais il y a relativement plus d’autrices et de réalisatrices que de codeuses, ou de rôles tech, par exemple. Il y a des choses qu’on ne voit pas. Sur le projet L’INFINI sur lequel on a travaillé, il y a des capsules qui varient de 45 secondes à une minute trente et elles ont toutes une thématique. Elles nous permettent de rencontrer des personnages et elles sont divisées en plusieurs chapitres en fonction de la narration et, à la base, ça avait fait l’objet d’un plus grand montage avec des épisodes de quinze minutes. Ça s’appelle des hotspot. Mon hotspot préféré dans ce projet-là est dans le dernier chapitre et parle de la première sortie extravéhiculaire de l’ISS 100 % féminin. C’était très beau. Il y a donc deux femmes astronautes dans le shot, qui nous raconte leur point de vue sur ce moment historique, qui n’était initialement pas prévu. En fin de compte, je les ai tous beaucoup regardés à force de tester le projet dans le cadre de la production, et ce hotspot-là, je me suis rendu compte qu’il était introduit par un voice-over d’homme, pendant 30 secondes. Ce qui avait du sens dans le cadre de l’épisode parce qu’il y avait une transition, mais pas dans le cadre d’un hotspot. Ça donnait l’impression qu’elles avaient besoin d’un porte-parole masculin et ça m’a dérangé. Il y a quand même des choses que les hommes ne voient pas tout de suite et on doit leur faire remarquer. En l’occurrence, le réalisateur n’a pas été difficile à convaincre du tout. Ça a pris deux secondes de débat pour qu’il accepte de faire les changements au montage.
SALMA: Le fait d’ajouter des femmes dans une équipe, ça augmente la diversité des opinions et des perspectives. À mon avis, c’est un levier de performance pour un projet puisqu’il y a des angles que les femmes peuvent voir alors que les hommes non, et vice versa. Je crois que ça permet d’aider à créer des projets plus inclusifs. Comment penses-tu qu’on pourrait accueillir plus de femmes dans l’univers des sciences et de la technologie ? Toi, qu’est-ce qui t’a poussé vers ce milieu ?
Le fait d’ajouter des femmes dans une équipe, ça augmente la diversité des opinions et des perspectives. À mon avis, c’est un levier de performance pour un projet puisqu’il y a des angles que les femmes peuvent voir alors que les hommes non, et vice versa.
COLINE DELBAERE: Ça a été un enchaînement un peu étrange parce qu’à la base, au-delà de la technologie, j’étais intéressée par les arts vivants. J’ai travaillé comme programmatrice multidisciplinaire, dans une maison de production, dans des compagnies de théâtre et sur des tournages, dont un en 360°. Mon premier, c’était il y a sept ans, pour Igloofest. Une caméra 360° était placée sur le casque d’une personne qui se déplaçait dans le festival. Autant dire que ça pouvait causer des haut-le-cœur chez certains utilisateurs. Finalement, j’ai intégré une boîte qui commençait à s’intéresser à la production de contenus créatifs en 360°. D’abord, pour la création de documentaires, parce qu’ARTE avait créé une plateforme susceptible d’accueillir des contenus 360°, mais manquait de matière. Puis, les projets de fiction ont naturellement suivi. Nous avons donc commencé à ajouter l’intéractif, à travailler avec des moteurs de jeu en temps réel et à travailler avec des équipes issus de l’industrie du jeu vidéo. Étonnement, tout s’est imbriqué. Nous avons ensuite fait appel à des metteurs en scène de théâtre pour travailler sur ces projets. Ils avaient les outils nécessaires afin d’occuper l’espace autrement et chorégraphier les mouvements des personnages. Enfin, des scénographes nous ont aidés pour la création de décors.
MARIE-JADE: Concrètement, ce que tu fais au Centre PHI, c’est quoi en tant que productrice ?
COLINE DELBAERE: Le rôle d’une productrice varie selon les domaines. Dans mon cas, c’est de la recherche de financements, c’est beaucoup de compréhension d’un projet et de la manière de le rendre possible. Il faut ensuite encadrer la production, faire de la planification et gérer les équipes. À savoir, les fonds d’investissement qui s’intéressent à ce domaine sont souvent des fonds d’innovation. Il faut donc qu’on leur explique ce qu’il y a de nouveau dans le projet et qu’on leur explique si nous allons devoir le développer nous-mêmes. J’ai vraiment dû me plonger dans la technologie afin de mieux comprendre les projets sur lesquels je travaille.
MARIE-JADE: Est-ce que c’est toi qui prends la décision d’un projet ou est-ce que c’est toute l’équipe ensemble ?
COLINE DELBAERE: On a quand même besoin d’être plusieurs. Dans notre équipe, on a une productrice exécutive qui a une vision, qui a une sensibilité bien particulière. On va essayer de s’assurer que le projet converse d’une manière ou d’une autre avec les stratégies de l’entreprise. J’ai un partenaire avec lequel je travaille depuis quasiment cinq ans maintenant, il s’appelle Thomas, il était développeur là où je travaillais à Paris. Nous sommes ensuite venus ici ensemble. Très souvent, on fait des remue-méninges ensemble. On évalue ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Il essaie de comprendre mes contraintes et moi de comprendre les siennes. On essaie vraiment d’avoir une vision pour le projet. Une fois qu’on est d’accord, on fait une proposition au comité de création avec toutes les informations importantes à considérer, donc artistiques, techniques et financières. On doit expliquer notre stratégie et toutes les étapes du projet. Je me retrouve ensuite à faire des choses complètement absurdes qu’une productrice ne fait pas à la base. Quand je pense au projet sur la Station spatiale internationale, c’était difficile pour nous au départ d’imaginer comment les positionner en fonction des scénarios utilisateurs pour mieux répartir les centres d’attention. J’ai fini par me rendre sur place et observer. Je passais d’un scénario à l’autre, abandonnant ce que j’avais dans les poches pour me créer des repères, comme le Petit Poucet : mes clés, mes chaussures, mon téléphone, ma veste, etc. Thomas adaptait les positions en direct via le serveur du projet. Ça faisait rire mes collègues. Je ne m’étais pas préparée à faire ça. L’espace est immense, j’avais du mal à me positionner jusqu’à ce qu’on se dise : « Bon, on connaît les contraintes, ça nous prend un algorithme. »
ELIANNE: Tu sembles avoir beaucoup de projets passionnants. As-tu certains objectifs pour le futur ?
COLINE DELBAERE: Au départ, j’avais vraiment la bougeotte et je passais d’une discipline à une autre. Au bout de trois ou quatre ans dans l’immersif, j’ai commencé à me dire que je voulais peut-être faire autre chose. Je faisais donc des recherches, mais je me suis quand même dit que j’avais créé une sorte d’expertise pour un domaine grandissant. J’aurais probablement mis plus de temps à devenir une productrice de cinéma, à collaborer sur des projets qui ont autant de succès sur des festivals. Alors que là, on est dans un domaine récent, la culture s’attrape, ou se rattrape très vite. Il suffit d’avoir l’opportunité de faire l’expérience de quelques projets groundbreaking, pour se dire « ah, on peut aller là ! ». Puisque je me suis renseignée sur des sujets qui intéressaient un peu moins les autres, je suis parvenue à devenir plus à l’aise dans mon domaine rapidement. Si aujourd’hui, je devais changer de position, je trouverais probablement ça un peu lourd, au final. Il y a tellement à faire dans notre domaine, ça évolue tout le temps. On n’a pas le temps de s’ennuyer beaucoup.
AUDREY: Sinon, je me demandais, j’ai cru comprendre que vos projets touchaient à des disciplines de différents horizons. De quelle manière arrivez-vous à gérer seule le côté multidisciplinaire ? Moi, par exemple, quand j’étudiais en design de mode, il fallait créer un vêtement intelligent en collaboration avec une équipe d’un autre collègue spécialisé en informatique. Nous avons alors constaté que cela causait beaucoup de problèmes. Nous ne parlions pas vraiment le même langage. Nous avions des termes techniques différents. Il y avait des problèmes à ce niveau-là, mais également au niveau de la vision. Il y a plusieurs choses qui sont difficiles à prévoir d’avance, mais qui arrivent quand tu travailles sur le projet.
COLINE DELBAERE: Je comprends totalement. Il y a vraiment un contraste qui est visible. D’un côté, c’est extrêmement intéressant parce qu’on fait travailler ensemble des équipes qui sont complémentaires. Il y a donc un aspect très riche à ça. D’un autre côté, le manque d’un vocabulaire commun peut vraiment devenir une contrainte, même lorsque la vision est partagée. C’est un fait et l’on doit s’y attendre.
ELIANNE: Est-ce qu’il existe une stratégie particulière pour pallier ces problèmes ?
COLINE DELBAERE: Moi, j’en ai une. Mais elle est un peu radicale (rire). Ma stratégie, ce serait d’enfermer tout le monde dans la même pièce au moment du prototypage. C’est un très bon moment pour faire ça. Souvent, les problèmes viennent du fait que les parties n’ont pas compris les contraintes de l’autre et que, du coup, il y a un blocage quelque part. En moins radical, je crois que ça prend des bons vulgarisateurs et qu’il ne faut pas hésiter à dire : « Donc là, en d’autres mots, ce que tu me dis c’est que… », pour s’assurer que la compréhension de l’un est aussi celle de l’autre.
SALMA: J’ai l’impression qu’en tant que productrice, tu as vraiment une vision globale des projets et de l’expérience immersive.
COLINE DELBAERE: C’est un peu ma force et ma contrainte. C’est-à-dire que oui, il y a une vision. Mais, du coup, une fois que tu es dans le projet, il faut aussi comprendre quelles sont toutes les étapes pour le mener à terme, tout en conservant la vision d’ensemble et la bonne cohésion des équipes. Je fais souvent cette métaphore, mais un projet, c’est comme un mariage de l’équipe. Parfois, on n’a pas pris la peine d’habiter ensemble avant de se marier. Il faut vraiment comprendre le rôle et les responsabilités de chacun et faire en sorte que la communication soit honnête. Chaque projet est vraiment différent.
SALMA: Tu parlais tout à l’heure de l’embodiment, est-ce que c’est une des perspectives à envisager dans le futur ?
COLINE DELBAERE: Oui, absolument. Le domaine est encore assez compliqué. Il est encore très libre. J’ai lu un article qui expliquait qu’en réalité virtuelle, quand ton corps était mal représenté ou qu’il n’était pas représenté du tout, les souvenirs que tu allais créer en étant dans le projet étaient relativement similaires aux souvenirs que tu crées lorsque tu rêves, lorsque la perception de ton corps est altérée.
ELIANNE: Justement, à l’école, on commence une petite exposition, à la fois interactive et immersive. On aimerait vraiment avoir ce côté interactif intégré, mais on n’a jamais trop touché à ça. J’ai déjà fait des projets immersifs, mais c’est nous qui les guidions, ils se promenaient dans notre monde. Ce côté interactif est nouveau pour nous, alors nous avons encore beaucoup d’essais-erreurs devant nous. Il faut qu’on leur dise quoi faire pour que ça fonctionne, mais, en même temps, il faut qu’ils aient le choix de le faire de manière fluide. Ça demande beaucoup de réflexions et de remue-méninges.
COLINE DELBAERE: Absolument. Le fait de laisser mobiliser le corps de l’utilisateur est déjà extrêmement intéressant, mais ça prend de l’expérience utilisateur (UX) pour le guider intuitivement dans cet univers. Pour faire en sorte qu’il s’approprie les codes de rencontres avec l’œuvre le plus naturellement possible.
C’est quoi ton projet d’installation, Elianne ? Je suis curieuse.
ELIANNE: La thématique serait « blood diamond ». C’est une controverse dont on parle peu. Il y a le beau côté du diamant qui unit deux personnes lors de mariages, par exemple. Toutefois, tout ce qu’il y a derrière, dont on ne parle pas vraiment, est beaucoup moins joli. En Afrique, par exemple, ils sont parfois récoltés pour financer des conflits de guerres, du trafic humain, etc. On va donc pouvoir jouer avec ce contraste-là, le visuel va être intéressant. Mais, c’est encore en conception. Le côté interactif est donc encore à élaborer. Il va y avoir une petite salle avec des projecteurs et des dispositifs Kinect pour l’exposition. C’est en développement, mais ça va vraiment être cool.
COLINE DELBAERE: C’est super de jouer avec le contraste de ces deux univers-là. Je pense qu’il y a énormément de choses à faire avec ça. Est-ce que vous voulez impliquer l’utilisateur dans l’interaction ? On a eu la même réflexion pour une exposition sur la sexualité inclusive. À un moment, sans le vouloir, on s’est rendu compte qu’on était en train de mettre le visiteur dans une position qui n’était pas nécessairement confortable, parce qu’on le culpabilisait un peu. On s’est demandé dans quelle position on souhaitait réellement mettre le spectateur. Ça aide à la gestion du design, de l’interaction, etc. Ça permet de savoir comment on va passer à travers.
ELIANNE: On veut qu’ils comprennent le conflit, mais sans qu’ils se sentent coupables. On souhaite que les gens se sensibilisent à ce sujet et qu’ils réalisent l’ampleur de la problématique en les mettant les deux pieds dedans. On essaie de les intégrer et de les faire se sentir dans l’œuvre. On veut les laisser guider l’œuvre de façon fluide, mais on n’est pas encore certains de comment faire cela.
COLINE DELBAERE: C’est à travers l’interaction qu’on accède à l’information, finalement. Les filles de MANND dont je parlais tout à l’heure, elles ont réalisé un projet qui joue sur le contraste entre la mode et l’industrie du textile au Bangladesh. C’est vraiment poignant et ce serait une bonne référence pour ton projet, je pense. L’effet Madeleine de Proust, aussi. Admettons que tu t’empares d’un objet et que celui-ci déclenche un souvenir ; tu génères de l’information et tu mets doucement ton utilisateur dans la peau du personnage et de ce qui le constitue. Tu crées de l’empathie.
Aux yeux de Marie-Jade, le manque de modèles féminins inspirants et captivants dans les établissements collégiaux représente un obstacle à l’implication des jeunes étudiantes dans l’industrie des technologies de l’information. Afin de renverser les stéréotypes qui influencent souvent le choix de carrière des jeunes étudiantes, davantage d’expériences amusantes et stimulantes liées aux TI devraient être privilégiées dans le système scolaire québécois.
Pour pallier cette sous-représentation féminine, Elianne travaille actuellement sur la création d’un site Web qui recueille des témoignages fascinants de femmes issues de différentes branches dans le domaine des technologies. Cette initiative, elle l’espère, permettra aux jeunes de prendre une décision éclairée quant à l’orientation de leur carrière.
Audrey partage également ce désir d’augmenter la présence des jeunes femmes dans l’univers du numérique. C’est précisément en offrant plus de visibilité aux modèles féminins que la culture « masculine » dans le domaine des TI pourra être atténuée.
Ce remaniement des figures prédominantes dans le milieu ne pourrait être que bénéfique selon Salma, qui affirme que l’ajout de personnel féminin dans une équipe de travail permet d’augmenter la diversité des opinions et de favoriser l’expression de diverses perspectives.